C’est vers 1912 que Bonnard fait l’acquisition de sa maison à Vernonnet (près de Vernon), qu’il baptise sa « Roulotte ». Choisie pour sa vue sur la plaine normande, dans laquelle serpente la Seine, elle offre au peintre un havre de paix. Les entrevues du peintre avec Monet, ayant une maison non loin à Giverny, participent sans doute à la révolution conceptuelle qui l’habite alors. La terrasse de cette maison, son atelier et sa salle à manger deviennent en effet les sujets de prédilection de l’artiste. Bonnard est avant tout coloriste : il confiera d’ailleurs à son beau-frère Charles Terrasse que, dans nombre de ses tableaux, la couleur prime sur la forme. Mais si la couleur tient très tôt une place centrale dans le travail de Bonnard, la composition de la toile, en ce qu’elle vient créer de l’harmonie et de l’ordre, joue également un rôle majeur.
Léon Werth, critique d’art et familier de l’œuvre de Bonnard, soulignait la singularité du regard de Bonnard sur le monde du quotidien dans la monographie qu’il lui consacra : « Bonnard peint-il le monde ? Je crois plutôt qu’il assiste à la naissance du monde, à la naissance soudaine et miraculeuse des objets et des personnages devant lui, l’Univers est nouveau-né (…) ». Son indépendance picturale, sa volonté de faire voir tout ce qui peut être vu, et sa maitrise des couleurs et de la structure de ses tableaux, font effectivement de Pierre Bonnard l’un pilier de la peinture moderne et de l’histoire de l’art.