Si le nom de Victor Hugo évoque la figure d’homme de lettres ou de défenseur du peuple dans l’imaginaire commun, il est également un des dessinateurs les plus inventifs du XIXe siècle. De sa plume naissent plus de quatre-mille croquis, esquisses et dessins en tout genre, production prolifique et plurielle dont la fécondité ne se démentira jamais. Le génie de ces créations tient en grande partie à la singularité de la technique – ou plutôt des techniques – qu’Hugo y déploie : d’une tâche d’encre, il tire une forme, une silhouette qui devient bientôt motif et sujet de la composition, après avoir subi variations tonales et déformations successives.
Chez Hugo, l’hybridation entre différents procédés et l’impulsion créatrice sont à l’origine d’un geste quasi-automatique qui fera l’admiration des Surréalistes à l’encontre de sa production graphique. Le dessin apparaît comme un complément, sinon une continuation de l’écriture ; il véhicule les grands thèmes de sa littérature, de ses idées – sociales, politiques, philosophiques parfois – et de ses combats. Car littérature et dessin jaillissent sur le même support – le papier – et du même médium – l’encre – ; la plume de l’écrivain devenant celle de l’artiste.
Lors de son exil politique suite au coup d’Etat perpétré par Napoléon III et à la restauration de l’Empire, l’écrivain séjourne dans les îles anglo-normandes entre 1852 et 1870. A cette période correspond une production graphique abondante, ses dessins prenant des allures résolument fantastiques et mystiques, inspirés de la silhouette des côtes et de l’architecture observés sur l’archipel. Sa production s’inscrit dans la lignée des paysages éminemment romantiques dont l’écrivain s’était imprégné dans la vallée du Rhin quelques années auparavant, ainsi que des œuvres noires de Goya.